La prévision est un art difficile – « surtout concernant l’avenir », comme disait Francis Blanche. Il peut survenir un de ces « cygnes noirs », décrits par Nassim Nicholas Taleb, événement imprévisible mais entraînant des conséquences d’autant plus formidables qu’il n’avait justement pas été anticipé. Mais la plupart des experts en anticipations, se contentant de raisonner à partir de l’état des lieux du moment et de ce qu’on peut attendre de la nouvelle administration américaine, s’accordent sur certaines tendances de fond.

Avec Trump à la Maison-Blanche, Washington redevient central

Première certitude : la fragmentation du monde va se poursuivre. Le multilatéralisme – auquel l’Union européenne demeure attachée – recule face au grand retour des purs rapports de force. « Dans un monde qui semble se fragmenter en blocs rivaux, la plupart des pays se concentrent à juste titre sur la protection de leurs propres intérêts » (Harold James). « L’axe de convenance » (Mohamed A. El-Erian), formé par la Chine, l’Iran, la Corée du Nord et la Russie, cherche à bouleverser l’ordre international, tandis qu’un nombre croissant de puissances émergentes du Sud (les BRICS + ) indiquent, selon Harold James : « Nous ne voulons pas choisir notre camp et nous ne devrions pas être obligés de le faire. »

Deuxième idée forte : « Aussi impopulaire que ce soit de le dire, ces temps-ci, en particulier dans le monde de Trump, il y a un désir de leadership américain », selon Matthew Kaminski (de Politico). « La nouvelle année sera façonnée, plus que par quoi que ce soit d’autre, par la manière dont Trump va interagir avec un monde en transformation. Washington sera central. » D’abord, parce que l’économie américaine est dans une forme olympique, qui contraste avec les difficultés de la Chine.

Certes, l’imprévisibilité du nouveau président américain constitue un facteur supplémentaire de perturbation, mais il faut aussi tenir compte de « l’instinct antiguerre » de Trump (Fawaz A. Gerges). Une tendance qui le poussera à chercher à imposer un cessez-le-feu en Ukraine. Mais les amis de l’Amérique, y compris dans la lointaine Asie, considéreront le niveau de soutien qu’apportera l’administration Trump à la sécurité de l’Ukraine comme un test de la crédibilité des États-Unis. Trump ne peut pas se permettre de lâcher Kiev.

Protectionnisme américain, politique industrielle européenne

Son imprévisibilité, son dédain des normes établies, la faiblesse relative des freins et des contrepoids institutionnels susceptibles de bloquer ses initiatives vont conférer à Trump un pouvoir colossal. Pourrait-il aller jusqu’à court-circuiter le Sénat dont l’accord est nécessaire pour la nomination des membres de son propre cabinet présidentiel et des secrétaires des départements fédéraux (équivalents de nos ministres) ? Nouriel Roubini estime que la faible majorité républicaine à la Chambre des représentants empêchera le président d’appliquer entièrement son programme de réduction d’impôts car celui-ci se traduirait par une hausse inacceptable de la dette publique américaine.

De son côté, la hausse des droits de douane annoncée par Trump va renchérir les prix des produits importés et alimenter l’inflation. Elle fait courir aux États-Unis un risque d’inflation et de surchauffe de l’économie américaine, selon Simon Johnson. Mais ce titulaire du prix Nobel d’économie (2024) estime qu’il faut « s’attendre à des déclarations fracassantes », qui contrasteront avec « une réalité qui ne changera guère ».

De son côté, l’Union européenne semble se convertir à une politique industrielle qui a toujours eu les faveurs des gouvernements français : « autonomie stratégique », comme dit Emmanuel Macron. Attention ! Les guerres commerciales ne font pas de vainqueurs, avertit Charles Wyplosz. Elles déclenchent « une boucle infernale de représailles ». Quant aux politiques industrielles, si elles permettent de mieux cibler les secteurs à privilégier, elles désincitent les entreprises de ces secteurs protégés à innover et à améliorer leur productivité.

Elon Musk et Donald Trump vont-ils divorcer ?

Elon Musk et Donald Trump vont-ils rester amis ? Des ego aussi monstrueux sont rarement compatibles. En outre, selon Vox, le Département de l’efficacité gouvernementale (DOGE) confié au patron de Tesla ne peut manquer de le faire entrer en conflit avec tous les autres membres de la team Trump ; chaque responsable d’un département ministériel voudra préserver son budget et son administration, alors que le DOGE est une tronçonneuse.

Musk devra partager la responsabilité de son ministère antiministères avec Vivek Ramaswamy. Celui-ci l’a traité « d’animal de foire au service de Xi Jiping », complaisant envers les intérêts chinois. De leur côté, Mike Waltz, le futur conseiller national à la sécurité, Marco Rubio, qui sera secrétaire d’État, et Pete Hegseth, secrétaire d’État à la Défense, sont tous trois des « faucons antichinois » connus. Bonjour l’ambiance.

Toutefois, ironise l’historien Niall Ferguson, l’alliance « pourrait s’étendre sur plusieurs générations ». Il suffirait que « les deux dynasties s’allient par le mariage ». Barron Trump, fils de son père, n’aurait qu’à épouser la fille (trans) d’Elon Musk, Vivian Jenna Wilson…

L’Iran, affaibli par ses défaites, va-t-il accélérer son programme nucléaire ?

Les retentissantes victoires d’Israël contre l’Iran à travers ses proxys Hamas et Hezbollah, ainsi que la chute du régime de Bachar el-Assad en Syrie, offrent à Trump « le cadeau d’un Moyen-Orient transformé », selon Shlomo Ben-Ami. Trump va en profiter pour tenter de normaliser les relations entre Israël et l’Arabie saoudite, dans le prolongement des accords d’Abraham. Mais selon de nombreux commentateurs, la question de la bombe atomique iranienne sera l’un des premiers sujets internationaux.

Selon Richard Nephew, responsable du dossier iranien dans l’équipe Biden, il faut que les dirigeants iraniens prennent conscience que la menace d’une frappe américaine sur leurs installations nucléaires est très sérieuse. Les États-Unis n’ont cessé d’avertir Téhéran qu’ils ne toléreraient pas que l’Iran se dote de l’arme atomique. Or, en raison même de leurs échecs récents et afin de les compenser, les dirigeants iraniens peuvent être tentés de franchir cette ultime étape. Selon Nephew, « le temps presse » et Trump aura le doigt sur la gâchette, alors que Netanyahou va l’inciter à frapper.